Quand l’ABA intensive ne respecte pas les besoins de l\’enfant

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Tout parent d\’enfant autiste connaît certainement l\’ABA, en français, analyse appliquée du comportement. Ses résultats positifs (entre 45 et 47 % d’efficacité selon les recherches) ont conduit la Haute Autorité de Santé à recommander cette pratique en 2012, et incité les parents concernés à fonder tous leurs espoirs sur cette thérapie. En effet, l’ABA permet de réduire les comportements néfastes et d\’augmenter les apprentissage des enfants. Mais est-ce le cas de tous les enfants, et à quel prix ?

Une intervention efficace ?

Non seulement les thérapies ABA ont un coût important, mais elles demandent aussi beaucoup d\’investissement, assurant des progrès significatifs à partir de 20h par semaine. Or, selon Laurent Mottron, chercheur controversé en autisme, les études portant sur l’ABA seraient biaisées, car leurs conditions expérimentales diffèreraient de la réalité. En effet, chaque enfant et différent et bien souvent, les curriculum d’ABA ne peuvent répondre aux besoins de tous. En effet, ces programmes d\’apprentissages  sont adaptés au niveau de développement d\’un enfant, mais pas forcément à ses besoins individuels. On vise alors des habiletés attendues en vue d\’une intégration à l\’école, en négligeant d\’autres besoins prioritaires, comme le sentiment de sécurité et les besoins physiologiques (bouger, jouer, savoir réguler ses émotions, etc.).

Cependant, les pratiques peuvent être très différentes d\’une intervenant(e) à un(e) autre, ce qui peut aussi faire varier les résultats obtenus. Ces derniers dépendent aussi du profil des enfants, qui ne sont pas tous en mesure de fonctionner avec cette thérapie. Ainsi, lorsqu\’on essaie d\’apprendre à parler à un enfant qui ne sait pas encore s\’assoir à une table ni contrôler sa frustration, il est préférable de débuter avec des thérapies par le jeu, car d\’autres besoins doivent être comblés avant d\’en arriver à la communication.

Or, lorsqu\’un enfant est dans ce cas, il devient dangereux de lui imposer une intervention trop intensive. À travers mon expérience, j\’ai rencontré cette situation plusieurs fois, dont une en particulier que je vais vous raconter. Prenez note que je ne cherche évidemment pas à critiquer l\’ensemble des professionnels de cette pratique, puisque j\’en fais partie, mais plutôt d\’avertir sur ses dérives possibles mettant en péril le bien-être des enfants. Il s\’agit alors de mettre en place des objectifs répondant aux besoins prioritaires de l\’enfant et de veiller à ne pas heurter sa sensibilité.

L\’histoire d\’un enfant forcé

C\’est l\’histoire d\’un enfant d\’à peine 4 ans avec qui j\’ai été appelée à pratiquer l’ABA à travers le secteur public au Québec. Lorsque j\’accède à son dossier, on m’avertit qu’il est dans une phase d’opposition mais qu’un \ »protocole\ » a été mis en place pour faire face à ses crises répétitives. Je suis surprise d\’apprendre qu\’il se nourrit exclusivement de biscuits apéritifs à chaque repas. C\’est un enfant au teint pâle et au visage crispé, qui semble avoir beaucoup d\’énergie à dépenser. Je découvre qu\’il a en effet un grand besoin de contrôle et que ses apprentissages sont laborieux, il lui faut une semaine entière de répétions pour retenir un mot et pour le prononcer de façon approximative. Je comprends alors que ce pauvre enfant veut vraiment communiquer, mais qu\’il a tellement de besoins à combler avant d\’y arriver, qu\’il se retrouve face à un échec. Alors, il vit de grosses frustrations face aux efforts que lui prennent mes nombreuses demandes, en vain. En effet, il y a une trentaine d’objectif dans son plan individualisé, et je le vois pendant trois heures intensives sans pause, environ quatre jours par semaine.

Dès qu\’il sent l\’échec arriver, il s\’éloigne, renverse la table, essaie de me frapper ou me griffer, crache sur les murs, se fâche à en devenir rouge écarlate, lance les objets à terre. Il trouve ainsi toujours de nouveaux moyens de me faire céder, stopper la séance et le laisser tranquille avec ses jouets. Malheureusement pour lui, ce ne sont pas les ordres que j\’ai reçus de la part de ma superviseure : afin d’en finir avec cette opposition, je suis sensée le poursuivre à travers la pièce et répéter la consigne jusqu’à ce qu’il finisse par s’assoir et coopérer. Alors, cela peut durer des heures de pleurs et de cris. L’enfant réagit comme s’il était agressé, il se défend comme il peut et finit par se perdre dans une explosion d\’émotions. Comme par hasard, il se remet à refaire de l’eczéma qui le réveille la nuit et à faire caca dans ses culottes à la maison…

Au bout de 3 mois de bataille, les crises s\’éteignent progressivement. J\’essaie de rendre la séance la plus plaisante possible lorsqu\’il accepte de collaborer quelques minutes. J\’ai l\’impression de marcher sur des œufs, je fais tout pour ne pas le contrarier, éviter les échecs et l\’amuser tout en travaillant la multitude d\’objectifs. Je lui apporte plein de jouets en accord avec ses intérêts et utilise ceux-ci non pas comme récompense mais comme occasion d\’apprentissage. Il finit alors par m’accorder sa confiance et jouer le jeu, avec quelques réactions agressives lorsqu\’il commence à fatiguer. Malgré l\’issue plutôt positive de cette expérience, j\’ai quitté cet emploi peu de temps après cette mission, épuisée et même traumatisée par le \ »protocole\ » qu\’on m\’avait fait appliquer.

Le revers de la médaille

Morale de l’histoire: il est clair que l\’intensité et les méthodes de cette thérapie n\’étaient pas du tout adaptées à cet enfant. D\’ailleurs, dès que j\’ai modifié mes méthodes d\’apprentissage, il a répondu positivement. Si l\’application du protocole y a contribué, ce n\’est pas sans souffrance de sa part. En effet, à travers cette histoire (et pas seulement celle-ci), j’ai pu voir que les professionnels de ce domaine mettaient parfois en place des interventions aversives, ignorant totalement la détresse des enfants qui se sentent forcés et non écoutés dans leurs besoins. En conclusion, j\’ai pu voir que non seulement l\’ABA \ »pure et dure\ » ne fonctionnait pas avec tous les enfants, mais aussi qu\’elle peut sévèrement nuire à leur bien-être physique et émotionnel, en niant entre autres certains besoins primaires.

Selon moi, cet enfant aurait du bénéficier d’un accompagnement bien plus adaptée à son niveau de développement et à ses besoins, en priorisant par exemple sa problématique de rigidité alimentaire. Manger plus varié lui aurait permis de consommer des nutriments essentiels à son développement et d’être ainsi plus disponible aux apprentissages. Il aurait également fallu lui offrir plus de pauses et en profiter pour pratiquer plus d\’activités de motricité globale afin qu\’il puisse combler son besoin sensoriel de bouger. Viser plus de qualité face à la quantité des objectifs aurait également aidé l\’enfant à les assimiler, et bien sûr réduire au maximum ce temps \ »assis à la table\ », pouvant être vécu comme une punition à ce jeune âge où l\’on est sensé jouer pour apprendre. Pour finir, se préoccuper plus de ses besoins de communication et de ses intérêts en le laissant guider davantage la séance lui aurait certainement été profitable; lorsque je le faisais, le cercle de communication s’ouvrait et je voyais ses petits yeux briller.

C’est pour cela que des thérapies plus souples comme le modèle de Denver (ESDM), le DIR Floortime et le programme Son-Rise sont beaucoup plus respectueuses des étapes de développement de l\’enfant ainsi que de ses besoins. Heureusement, j\’ai eu la chance de les pratiquer ensuite à travers mes autres expériences d\’ABA \ »plus souple\ ». De plus, elles permettent aux parents de s’impliquer dans ces apprentissages, étant les mieux placés pour connaître leur enfant. Ainsi, le fait de développer ses intérêts de l’enfant lui donne accès à plus d\’occasions d’apprentissage et d’échanges, en allant chercher sa motivation dans un contexte naturel. Il aurait aussi intérêt à être inclus à l\’école avec de l\’accompagnement. Car c’est le plaisir social qui le mènera à imiter ses pairs et à vouloir communiquer et apprendre.

Protéger et favoriser le bien-être de l\’enfant

C’est aussi pourquoi il est important d’adopter une approche globale qui prend en compte les besoins de l’enfant : Dort-il et mange-t-il assez bien ? A-t-il assez d\’occasions de communiquer ? Est-il encouragé et respecté dans son individualité ?

J\’aime beaucoup la pyramide de Maslow pour enfants que papapostive.fr a publiée récemment, car elle illustre parfaitement ce que devrait prendre en compte les accompagnements (besoins physiologiques, besoin de sécurité, besoin d\’appartenance, besoin d\’estime de soi et besoin d\’accomplissement).

Ainsi, je ne peux que recommander aux parents de communiquer avec leurs accompagnant(e)s afin de placer les intérêts et les besoins de leur enfant au premier plan dans leurs objectifs d\’intervention. Quelle importance que l’enfant connaisse une cinquantaine de mot s’il n’est pas capable d\’exprimer ses besoins à la maison ou de jouer ? 

Il faut en finir avec l’obsession de la performance, de la normalisation et de l’entrée à l’école. Si l’enfant est épanoui et heureux au contact des autres, s\’il joue et est capable de réguler un minimum ses émotions, il sera sûrement capable d’aller à l’école avec du soutien. Lui offrir du plaisir dans son apprentissage devrait être une fin en soi et pas seulement un moyen d’atteindre un objectif. N’oubliez jamais que son autonomie, son bien-être physique, son estime de soi ainsi que le développement de son individualité valent mieux que n’importe quelle acquisition académique et que cette dernière ne peut exister sans ces quatre conditions.

Alors, que vous soyez en attente de services ou non, ne misez pas tout sur l’ABA, car vous pouvez aider votre enfant bien plus que vous le pensez, avec un peu de guidance professionnelle. N’oubliez pas que vous êtes les vrais experts de votre enfant et que le plus important est qu\’il soit épanoui.

Monalisa Didier, accompagnante psycho-éducative

Références :

HARRISSON, B., & ST-CHARLES, L. (2012). Hypothèse du fonctionnement interne de la structure de pensée autistique. Psychologie & éducation, (2), 69-84.

Jancarik, A. S. (2015). Recension d’écrits sur les effets e l’intervention comportementale intensive pour la clientèle de 2 à 5 ans.

Mottron, L. (2016). L\’intervention précoce pour enfants autistes: Nouveaux principes pour soutenir une autre intelligence. Mardaga.

de Santé, H. A. (2012). Autisme et autres troubles envahissants du développement: interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent. Mars.

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